LETTRE DE LIAISON


des militants combattant
pour le FRONT UNIQUE
des syndicats de l'enseignement public


 

Lettre de liaison N°283 -  10 novembre 2018      [Version pdf]

Des attaques tous azimuts contre l’enseignement supérieur et la recherche publique,

Avec pour cible le statut des personnels

et le droit aux études pour la jeunesse étudiante

Comment faire front ?

Après une année de coups terribles contre les travailleurs, les jeunes, les retraités, les migrants, le gouvernement Macron-Philippe poursuit et amplifie ses attaques tous azimuts. Ordonnances, casse des retraites, du statut de la fonction publique, de l’enseignement supérieur et des organismes de recherche publics, … la jeunesse étudiante et les personnels de l’enseignement supérieur et de la recherche ne sont pas épargnés.  En quoi consistent ces attaques ? Qu’est-ce qui fait la force du gouvernement Macron-Vidal ?

Avec Parcoursup, le gouvernement Macron-Philippe a réussi à instaurer la sélection – sociale – à l’entrée des universités.

Macron l’avait annoncé quand il a lancé sa concertation pour préparer sa loi de sélection à l’entrée de l’université en août 2017 : « Nous ferons en sorte que l'on arrête, par exemple, de faire croire à tout le monde que l'université est la solution pour tout le monde. » « Aujourd'hui, quelqu'un qui vient d'une famille modeste, ou peu qualifiée, même avec un baccalauréat, n'a pas assez de chances de réussir. » (Le Point, 31/8/2017). ». De son point de vue le bilan de la première année d’application de parcoursup est un succès. Il a permis de barrer massivement l’accès à l’enseignement supérieur aux jeunes issus des classes populaires par le découragement.

Dès le départ, alors qu’il y avait 32 800 bacheliers de plus en 2018 qu’en 2017, le nombre d’inscrits sur parcoursup était inférieur de 52 271 par rapport à APB 2017. Une semaine avant le Bac, la majorité des lycéens des filières pros n’avaient reçu aucune proposition, c’était aussi le cas pour des classes entières de lycée de banlieue y compris dans les filières générales alors qu’en moyenne 71% des lycéens en avait une. 17,8% des bacheliers ont quitté Parcoursup, dont 15,5% avec au moins une proposition (qui ne correspondait donc pas à leur vœu), or seuls 0,3% des bacheliers avaient quitté la plateforme APB en 2017 !

La mise en œuvre de la sélection à l'entrée à l'université est un objectif fondamental des capitalistes français depuis des décennies. Ce n’est pas seulement une question de coût, il s’agit aussi d’en finir avec les diplômes nationaux reconnus par les conventions collectives qui sont des obstacles à la baisse de la valeur de la force de travail de l’ensemble du prolétariat, à commencer par celle de la jeunesse. C'était l'objectif principal du plan Foucher qui, en mai 1968, avait constitué le point de départ de la mobilisation étudiante ; c'était ce même objectif qui était au cœur du projet de loi Devaquet de 1986, qui fut balayé par la grève générale étudiante. De Gaulle, Chirac et Sarkozy en ont rêvé : Macron l'a fait. Comment a-t-il pu remporter une telle victoire ?

L’arme du gouvernement : le dialogue social

Le secrétaire national du SNESUP en donne une des clés dans sa lettre du 30 mars à la ministre Vidal:  « La pseudo concertation que vous avez organisée à grands renforts de communication, [qui a préparé la loi ORE – NDLR] et qui nous a occupés pendant pas moins de 55 réunions thématiques en septembre-octobre, n’est pas étrangère à cette situation (…) Cette stratégie autoritaire qui consiste à affirmer écouter sans entendre les Organisations Syndicales puis à imposer une loi en prétextant que nous y aurions contribué, votre gouvernement l’avait déjà mise en œuvre pour affaiblir le code du travail l’été dernier via les ordonnances. Vous l’avez à nouveau utilisée pour la rédaction de la loi ORE et votre gouvernement l’impose maintenant une fois de plus avec le rapport Spinetta et la remise en cause des statuts des cheminots. »

En quittant le 27 avril la « concertation licence », La CA du SNESUP déclarait «Nous n’acceptons pas d’être utilisés pour cautionner une nouvelle concertation qui a pour seul but de détourner les organisations syndicales de leur combat auprès des collègues dans les établissements contre la loi ORE et contre l’usage de la plate-forme Parcoursup. »

 

La « réforme » de la licence

On ne serait être plus clair ! Alors pourquoi les dirigeants syndicaux ont-ils tous repris le chemin des concertations, sans tambours ni trompette, quelques semaines plus tard, pour discuter d’une « réforme » de la licence dans le cadre de rencontres bilatérales avec le ministère et du comité de suivi de la licence ?

Les arrêtés licence ont été promulgués en plein été pour être appliqués à la rentrée 2019. Ils préparent la liquidation de la licence en tant que diplôme national, l’enseignement étant défini université par université, tant du point de vue du contenu que du volume des horaires (le seuil de 1 500 h a été supprimé). Ils ouvrent la voie à la multiplication des diplômes « maison » sous contrôle des universités et des établissements privés.

Fort de ces victoires, le banquier Macron entend bien continuer son offensive car pour lui l’université est encore loin de celle qui serait conforme aux intérêts du Capital. Elle doit être non seulement sélective mais payante, soumise au diktat de la loi du profit comme n‘importe quelle entreprise capitaliste et d’où serait exclue la jeunesse des couches populaires. L’étudiant doit payer le prix de revient de ses études et s’endetter auprès des banques pour les financer. De même il faut en finir avec les statuts des personnels et ses garanties collectives, autant d’obstacles à la mise directe des universités au service des besoins patronaux. Un autre objectif est de dissoudre les organismes publics de recherche dans les universités et faire disparaître leur statuts spécifiques notamment celui de chercheurs à temps plein.

Le projet d’ordonnance

C’est dans cette perspective que s’inscrit le projet d’ordonnance pour « faciliter » les regroupements de plusieurs établissements d’un même site qu’ils soient publics, privés ou encore des centres de recherche des organismes nationaux tels que le CNRS, l’INRIA… dérogeant aux règles du code de l’éducation.

D’après cette ordonnance, dès que ces établissements auront vu le jour, ils pourront se transformer en Grands Etablissements (GE) leur donnant le droit de délivrer leur propres diplômes, fixer librement les frais d’inscription, créer des filières d’excellence ultra sélectives, assurer des prestations de services onéreuse, exploiter des brevets et licences, commercialiser les produits de leurs activités (comme les cours en ligne) … Paris Dauphine, qui a ce statut depuis 2004, offre en cette rentrée des bachelors à 7500€ et même un diplôme d’université à 10 000 € (tarif pour les plus de 26 ans) !

L’une des grandes mesures de cette ordonnance est de lever le frein qui entrave l’intégration dans ces regroupements des institutions privées et des grandes écoles – qui ont déjà le statut de GE – en leur permettant de garder leur personnalité morale (c’est-à-dire leurs prérogatives antérieures). Les universités devenant sélectives il s’agit en effet de dépasser ce « vieux » clivage entre les formations sélectives des grandes écoles et les universités ouvertes à tous les bacheliers. Toutes ces institutions publiques comme privées bénéficieront ainsi de la caution universitaire et acquerront le droit de délivrer licences, masters et doctorat.

Ces regroupements devront être managés comme des entreprises privées avec un président qui peut ne pas être un universitaire. Les élus du personnel seront réduits à la portion congrue afin qu’ils servent uniquement de faire valoir sans que leur présence ne freine cette transformation de l’ESR à marche forcée.

Le statut des personnels en ligne de mire

Cette politique de site ne peut aboutir sans faire exploser les statuts de la fonction publique dans l’ESR. Les promoteurs de cette territorialisation revendiquent ouvertement le pouvoir sur la gestion du personnel (salaires, carrières, recrutements…). La « réforme » de la fonction publique, prévue pour 2019, qui devrait donner  plus de pouvoir aux « employeurs de proximité », répond à ce vœu. Préparée par les 4 chantiers du Programme d’action publique (PAP2022), elle vise la démolition du statut des fonctionnaires : généralisation du recrutement par contrat (sauf pour les « fonctions régaliennes »: les flics, les militaires et les juges), renforcement du pouvoir de la hiérarchie, salaire « au mérite »[1], « mobilité » «  plan de départ », « suppressions de missions » pour supprimer 120 000 postes. Le projet d’ordonnance est un instrument de cette démolition car, comme l’a dit la ministre Vidal « je crée une forme de boîte à outils dans laquelle chacun va trouver le bon(…). Si le système est au service d’un projet scientifique, de territoire et d’établissement, les gens sont embarqués par le projet et non par les structures», personne ne  demande « qui [te] paie [CNRS, universités ou autres organismes publics ou privés-NDLR]». !

Une application anticipée

 Ce projet d’ordonnance s’inscrit dans la continuité d’une politique de site où les directions d’universités sont lancées depuis la loi Fioraso (2013) avec des regroupements, des fusions, aiguillonnées par le mirage de la manne des Idex. Seule une dizaine de « grandes universités » (de « recherche intensive ») devraient émerger de ce paysage universitaire qui aura perdu son caractère public et national, où les organismes de recherche auront été disloqués. Ailleurs, hors de leur périmètre, seuls devraient survivre les laboratoires de recherche liés aux entreprises locales et à leurs subventions, idem pour les universités non sélectives mais limitées au premier cycle délivrant essentiellement des licences très professionnalisées, sans déboucher sur un master.

Depuis des mois, les universités labellisées Idex rédigent leurs nouveaux statuts en anticipant la dérèglementation prévue par ces ordonnances. Lyon, Saint-Etienne, Paris Saclay, Nice, Grenoble, … les contours de ces nouveaux établissements se dessinent avec comme premiers effets :

-          Des regroupements avec des institutions privées comme les écoles de commerces ;

-          La création de masters sélectifs et payants, d’instituts de premiers cycles au rabais pour les licences non sélectives ;

-          L’abandon de pans entiers de la recherche considérés « hors périmètre » ;

-          Un fonctionnement basé sur les appels à projets, avec des emplois hors statuts FP, des « chaires d’excellence », des postes de chercheurs environnés (c’est-à-dire avec « ses » CDD) ;

-          La mainmise sur les publications, les recrutements des personnels des organismes de recherche, les obligations d’enseignements pour les chercheurs, réorganisation de laboratoires ;

-          Des restructurations massives et des mutualisations, imposant aux personnels : mobilité, détérioration des conditions de travail, remise en cause des jours de congés…

Le communiqué commun SNESUP-SNCS du 15 octobre titre fort pertinemment : « ordonnance jusqu’à dix ans pour démanteler l’espace public national de l’enseignement supérieur et de la recherche ». Cependant, il se termine par: « Le SNESUP-FSU et le SNCS-FSU appellent les collègues à défendre ces principes et à faire entendre leur voix dans le cadre d’une gestion démocratique des établissements. »

Encore et toujours l’arme du dialogue social contre les personnels

Mais que signifie combattre dans « le cadre d’une gestion démocratique des établissements. » ? Au moment où un projet de loi d’ordonnance vise à donner toute latitude aux directions des universités pour mettre en place la politique décrite ci-dessus ! Quand certaines organisent avec zèle la répression des étudiants mobilisés pour la défense de leur droit aux études (loi ORE), à l’aide de la police ou de vigiles !

Cela fait des mois que les représentants syndicaux font voter des motions, cherchent « à faire entendre leur voix » dans les conseils de gestion des universités dans les groupes de concertation où sont discutés, élaborés ces plans destructeurs. Avec quels résultats ? Les textes fondateurs de ces universités, comme celui de Grenoble, sont criblés de référence à la concertation au dialogue social, pour une « gestion fondée sur l’humain » mais parfaitement cadrée : « l’UI génère des économies d’échelle significatives sur le plan des ressources humaines et financières »

Les directions syndicales de l’ESR prétendent combattre cette ordonnance, mais participent à toutes les instances qui préparent son application avant même qu’elles ne soient promulguées. Comment le gouvernement peut-il prendre au sérieux une telle opposition ? Loin de l’inquiéter, elle lui sert de caution. Mais plus encore elle détourne de leur mission les syndicats dont le rôle est la défense des personnels.

A l’inverse, il est nécessaire de réunir les conditions d’un véritable affrontement avec ce gouvernement  pour faire échouer cette politique de dislocation de l’enseignement supérieur public et des organismes de recherche, livrant les universités et les personnels à une concurrence les uns envers les autres.

Pour faire reculer le gouvernement, il faut d’abord que toutes les directions syndicales (SNESUP, SNCS, SNASUB, FO, CGT, UNEF, Solidaires, … )

-          se prononcent dans l’unité pour le retrait pur et simple de ce projet d’ordonnance ;

qu’elles organisent un combat national et unitaire en commençant par appeler au boycott de toutes les instances impliquées dans la mise en place de cette territorialisation de l’ESR.

 

Le courant Front Unique constitue une liste pour les élections internes de renouvellement des instances nationales de la FSU à l’occasion de son congrès en 2019. Notre courant combat pour la rupture de la direction de la FSU avec le gouvernement, pour qu’elle reprenne les exigences des personnels: abrogation des contre-réformes à tous les niveaux de l'enseignement public (lycée, ESR …), défense du statut de la fonction publique et des retraites et retrait des projets de loi gouvernementaux. Si vous êtes en accord avec ces objectifs, ou si, sans être totalement d'accord, vous estimez que la démocratie syndicale exige que ce point de vue puisse être soumis aux syndiqués, portez-vous candidats sur la liste. Formulaire à remplir auprès des militants ou à accessible sur le site frontunique.com et renvoyez à l'adresse indiquée.


 

[1] A. Petit, président du CNRS, dans un colloque de la CPU le 28 septembre l’a dit clairement « Augmenter le point d’indice de la fonction publique : on peut oublier, ça coûte une fortune» il faut  «Travailler sur l’indemnitaire.» « Il faut qu’on accepte de s’attaquer à un tabou (…) Il y a les enseignants-chercheurs et chercheurs normaux, soit l’immense majorité. Et puis il y a les stars. Dans notre pays, on ne s’est pas donné les moyens pour attirer et garder les stars.»


 



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