LETTRE DE LIAISON


des militants combattant
pour le FRONT UNIQUE
des syndicats de l'enseignement public


 

Lettre de liaison N° 225 - 9 janvier 2014       [Version pdf]

Le projet de modification du décret statutaire des enseignants-chercheurs :

Vers la suppression de tout cadre statutaire.

La responsabilité des directions syndicales de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche est d’exiger son retrait pur et simple

Travailler plus pour gagner moins

Le gouvernement s’apprête à promulguer un nouveau décret modifiant le statut des enseignants-chercheurs. Ce projet reprend intégralement le décret Pécresse contre lequel les enseignants-chercheurs s’étaient massivement mobilisés en 2009. Pour le gouvernement Sarkozy-Pécresse, il s’agissait de lever un obstacle de taille à l’application de la LRU et la RCE (Responsabilité Compétence Elargie), qui donnait la « liberté aux universités » de gérer elle-même leur masse salariale,: le statut des enseignants chercheurs. Mais battu aux élections de 2012, il n’a pas  pu y parvenir complètement et c’est le gouvernement Hollande Fioraso qui maintenant s’en charge. Jugeons sur pièce !

Au cœur du projet de décret Fioraso, la modulation de service qui permet d’imposer des dépassements de service sans être rémunérés. Il efface les vagues limites concédées par Pécresse dans la circulaire  d’avril 2009 qui spécifiait que le service annuel ne devait pas s’éloigner en moyenne de la référence de 128 h de CM ou 192 h de TP-TD. Des universités en ont profité pour commencer à intégrer dans les services dus des heures complémentaires non payées, élevant en plus la limite de basculement des heures de Cours en heures TD. Mais pour le gouvernement, qui poursuit sans frémir la politique d’étranglement financier des universités et de la recherche publique, c’est loin d’être suffisant, il s’agit de donner aux universités les moyens de tailler à la serpe dans la masse salariale. Ainsi le projet de Fioraso supprime toute limite supérieure à la durée de ce service. Si un tel décret passait, le doublement des services deviendrait rapidement la norme, plus besoin d’heures complémentaires, de vacations, de contractuels!  Mais au-delà c’est en réalité la suppression de toute référence horaire avec à la clé une dénaturation profonde du métier  des enseignants-chercheurs et qui aura aussi des répercussions sur celui des chercheurs.

Dénaturation des métiers

Ce projet s’inscrit en effet dans un objectif beaucoup plus large : celui de la restructuration par site de l’enseignement supérieur et de la recherche définie par la loi LRU-Fioraso adoptée en juillet 2013. Fioraso en a donné le fondement dans une interview en duo avec Gattaz, le patron du MEDEF, (les Echos du 9 décembre) : mettre la formation et la recherche au service du patronat. Cela implique une profonde évolution  des métiers de l’enseignement supérieur où doivent primer leurs critères tels que « l’insertion professionnelle, la valorisation, le transfert, l’innovation pédagogique, le pilotage des établissements, le développement des ressources numériques, la liaison avec l’environnement économique ... ». Et pour enfoncer le coin, Le projet de décret prévoit de réserver un neuvième des concours de recrutement des Professeurs à ceux qui se seront distingués dans ce type de fonctions réduisant d’autant les, déjà fort maigres, possibilités de promotions pour les autres. Quant à la place de la recherche dans le métier des enseignants-chercheurs, Fioraso reconduit la disposition du décret Pecresse qui la soumet au bon vouloir des conseils d’administration de leur établissement.

La territorialisation de la gestion des enseignants-chercheurs

Et des chercheurs des organismes de recherche

En vertu de la loi LRU-Fioraso, partout les universités s’engagent dans des processus de fusion et de regroupement avec d’autres établissements publics et privés, avec les organismes de recherche pour constituer les Communautés d’Universités et d’Établissements (CUE). Il s’agit donc avec ce projet de décret de lever les freins statutaires à la mobilité des enseignant-chercheurs et des chercheurs entre les différentes composantes de ces CUE, indépendamment de leur discipline, et d’aller vers la suppression des frontières entre les corps de l’enseignement supérieur et ceux des organismes de recherche en vue de mutualiser et de réduire massivement les effectifs.

C’est dans ce cadre qu’il faut comprendre la possibilité prévu par le projet de décret que le service d’un enseignant-chercheur soit partagé entre les universités regroupées dans une Communauté d’Etablissement.

 

Dans le même esprit, une nouvelle disposition permet le détachement de Chargé de Recherche 1ère classe en Maître de Conférence, avec la carotte du passage en Hors Classe, dans la perspective d’être intégré à ce corps après avoir assuré au moins 2 ans le « service » d’un enseignant-chercheur. C’est la fusion des corps de chercheurs et d’enseignants-chercheurs qui est ainsi en marche, préalable à la disparition des établissements  publics de recherche. En effet, la loi LRU-Fioraso est en train de changer la donne en prévoyant de mettre les personnels des EPST, intégrés dans les Communautés d’Universités, sous la tutelle des futurs présidents de ces CUE qui à terme devraient contrôler la totalité des budgets de ses composantes. Il leur sera  d’autant plus facile à imposer leur loi que les chercheurs, et les enseignants-chercheurs sont de plus en plus fragilisés par le tarissement du financement récurrent, le manque de support technique, l’alourdissement des taches administratives et la course épuisante, et le plus souvent vaine, au financement. 

« L’évaluation » qui devient « suivi de carrière » ou comment,

 après 3 mois de dialogue social, Fioraso s’apprête à  livrer la  modulation de service

au libre arbitre des directions des futurs communautés d’universités

La modulation de service prévue par le décret Pécresse dépendait de la décision du président d’université mais reposait sur la mise en place d’une évaluation qui devait être essentiellement assumée par le Conseil National des Universités et ses sections. La résistance opiniâtre des enseignants-chercheurs, tout autant que la lourdeur d’un tel dispositif, avait amené Fioraso à décider d’un moratoire à son  arrivée au ministère de l’ESR  mais sans remettre en cause le décret Pécresse. C’est ce qu’atteste la première mouture de son projet de décret remis aux directions des  organisations syndicales en septembre pour ouvrir la discussion. Au lieu de dénoncer ce projet qui reprenait intégralement les objectif objectifs de Sarkozy et Pécresse de refuser de cautionner cette trahison du mouvement des universitaires de 2009, les directions syndicales ont joué le jeu de la concertation, elles ont défilé une à une dans les bureaux du ministère pour, disaient-elles, faire valoir les revendications des personnels.

Résultat : la dernière mouture du projet de décret est encore pire que la première avec la modulation qui, d’après le tract intersyndical du 17 décembre,  « reposera désormais sur une appréciation purement locale des activités des enseignants-chercheurs ». L’évaluation devient « suivi de carrière ». Réalisé tous les 5 ans, ce suivi serait entièrement aux mains des instances locales des établissements qui seront chargées de les centraliser, de donner leur avis et récupérer les « recommandations » des sections du Conseil National des Universités (CNU).

Ce projet qui multiplie les procédures dérogatoires de promotion ou de recrutement, renforce leur caractère local en court-circuitant les procédures normales et finissant de dépouiller le CNU de toute réelle prérogative r .

Ce suivi est donc conçu pour être un outil de gestion des personnels aux mains des directions des Communautés d’Universités pour les mettre au pas et pour « optimiser » la masse salariale.

Réforme fiscale, économies de 15 milliards par an sur les dépenses budgétaires :

Les enseignants-chercheurs, les chercheurs comme tous les fonctionnaires doivent payer.

Les représentants des organisations syndicales, siégeant au Comité Technique Universitaire, ont refusé de participer à la séance du 17 décembre, à cause du retard avec lequel la dernière mouture du projet de décret leur avait été remise, « sans avoir donné lié à aucune concertation sérieuse ».

Mais pour le gouvernement ces mois de concertation ont été très sérieux. Qui peut croire qu’il peut en sortir autre chose que des attaques contre les personnels ? Baisse de salaires, mise en concurrence, accroissement des charges de travail, dénaturation du métier : le projet de décret de Fioraso se situe dans le droit fil du discours de Hollande du 31 décembre – dont s'est bruyamment félicité Gattaz – et qui constitue une déclaration de guerre contre les travailleurs : réduction brutale des dépenses de l'Etat ( des budgets sociaux), baisse des « charges des entreprises » (des cotisations sociales qui constituent une part du salaire), attaques contre la Sécurité Sociale. D’ailleurs, les représentants syndicaux ont affiché leur intention de participer à la séance du Comité Technique du 9 janvier où est discutée … la même version du décret.

Retrait pur et simple de ce décret qui supprime tout cadre statutaire

Autant dire que si ce décret était promulgué, il signera la mort de tout cadre statutaire pour les EC. Mais au-delà, le statut des EC, ou du moins ce qu’il en reste depuis les attaques du gouvernement Sarkozy-Pécresse, est un des derniers remparts protégeant du démembrement total le caractère national et public de l’enseignement supérieur et de la recherche. Si ce décret passe le statut de chercheur à temps plein des EPST ne tiendra plus qu’à un fil. La voie sera grande ouverte à la territorialisation de leur statut et dans la foulée à celle des ingénieurs et techniciens et à leur mutualisation dans le cadre  des établissements de site.

La responsabilité des directions syndicales, en premier lieu de celle du SNESUP et du SNCS et de tous les syndicats de l’ESR est de se prononcer pour la défense inconditionnelle du statut des Enseignants-Chercheurs, d’exiger dans l’unité, le retrait pur et simple de ce projet de décret et de rompre toute concertation a son sujet.



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